L’histoire des fouilles

 

 

Comprendre le château-résidence de Mehun-sur-Yèvre

 

Il a déjà été beaucoup écrit sur ce monument ; il suffit pour s’en convaincre de consulter la bibliographie rassemblée à la fin de l’ouvrage Le Château et l’art, à la croisée des sources (tome II en préparation). Certains de ces articles sont plutôt basés sur des connaissances historiques, d’autres plutôt en rapport avec l’étude des élévations et/ou appuyés sur les recherches archéologiques menées régulièrement sur le site. Ces différentes campagnes de fouilles ont ouvert un large champ d’investigation. Elles ont toutes apporté des réponses aux nombreuses questions que nous nous posions, mais elles en ont aussi formulé d’autres qui, à ce jour, restent sans explication… C’est heureux pour nos suiveurs de savoir que jamais l’écheveau historique d’un tel site ne sera entièrement démêlé. C’est être réaliste que de penser que certaines de nos hypothèses seront peut-être, un jour, battues en brèche par de nouvelles découvertes, des archéologues plus perspicaces ou, tout simplement, mieux équipés pour comprendre et analyser les stratifications du sous-sol.

 

 


 

 

Histoire des recherches archéologiques sur le site du château

 

Depuis 1980, les campagnes de fouilles, menées par le Groupe Historique et Archéologique de la région de Mehun-sur-Yèvre, ont suivi une progression logique (depuis les extérieurs vers le cœur du monument), même si elles ont été, dans un premier temps tout au moins, essentiellement guidées par la passion dévorante d’une poignée de bénévoles à l’esprit bâtisseur. Les méthodes et les moyens employés étaient ce qu’ils étaient, mais les travaux menés à cette époque ont eu l’immense mérite de tirer de l’oubli un monument majeur pour l’histoire de l’art, une résidence de conte de fée endormie au cœur de son écrin de verdure.

 

Pour les uns, une forteresse allait renaître et se reconstruire, les châteaux anciens allaient être compris ; pour d’autres, la découverte de nouvelles sculptures pouvait relancer le débat autour d’illustres “maistres d’entaillures” et sur les échanges internationaux des derniers feux du gothique… Allait-on connaître enfin le plan de base du château et savoir comment s’articulait la construction d’une résidence de plaisance implantée sur un château défensif et, surtout, pourrait-on déterminer dans quelle mesure la politique princière, puis royale, avait influencé les constructions ? Il est très possible d’ailleurs que l’équipe d’alors n’ait pas poussé aussi loin ses interrogations !

 

Pourtant, peu à peu, qui, depuis le Louvre ou la Bibliothèque nationale de France, qui des facultés, voire de l’actuelle sous-direction de l’archéologie et des directions régionales des affaires culturelles, des chercheurs, conservateurs, professeurs et universitaires ont guidé nos pas vers une réflexion globale du monument et une étude particulièrement soignée de certaines parties du château.

 


 

Mehun, centre du pouvoir

 

Toutes les personnes qui ont écrit sur ce site, à commencer par nous-même, sont toujours parties du principe qu’il y avait “quelque chose d’important” avant Jean de Berry (fin XIVe siècle). Ce “quelque chose” apparaît étude après étude derrière les textes anciens et entre les pierres du site ; nous savons maintenant que Mehun était un lieu de pouvoir et, mieux encore, de formation et d’évolution du pouvoir. Il est même très possible que, sans cette longue histoire mêlant personnages importants, pouvoir territorial et famille, le duc de Berry (frère de Charles V) ne se serait jamais intéressé à Mehun. Ce dernier, on le sait, a embelli à l’extrême le château jusqu’à en inspirer l’image que la miniature de la Tentation de ses Très Riches Heures nous donne. Puis le site a été occupé par un souverain et sa cour, Charles VII, qui y a laissé une empreinte plus politique, même si quelques constructions peuvent lui être attribuées, comme la réorganisation défensive des parties basses.

 


 

D’histoire en histoire

 

Avant les recherches de terrain, les cinq siècles (ou plus) d’histoire antérieure au duc Jean se concentraient presque uniquement dans la coque extérieure du donjon aux allures philippiennes (époque du roi Philippe Auguste), et l’histoire se refermait avec le décès du roi Charles VII en 1461. Il est vrai que peu d’éléments nouveaux viennent contredire cette dernière affirmation et que l’endormissement du château et de sa cité peu après la mort du souverain est bien réel ; nous pouvons même affirmer que la ville sortit exsangue des guerres de Religion. En revanche, pour les périodes anciennes, antérieures à l’arrivée du duc Jean de Berry, le site s’est considérablement enrichi. Ainsi, suite aux recherches archéologiques pratiquées dans les grandes caves, ce ne sont plus deux ou trois châteaux superposés qui dominent la vallée de l’Yèvre, mais une douzaine, aux enchevêtrements complexes, aux traces souvent ténues et aux plans forcément incomplets qui ont été repérés !

 


 

Méthode

Avant de poursuivre, il convient de parler, même sommairement, des méthodes qui ont été employées. Les impressionnants dégagements entrepris entre 1980 et 1984 ont surtout été réalisés par décapage frontal dans l’épaisse couche de démolition de l’extrême fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Seule une fosse d’aisance et/ou de rejet des cendres, ainsi qu’une parcelle bloquée sur le chemin de ronde sud-est, au pied de la tour des dames, ont été fouillées par décapages stratigraphiques. Les objets de ces zones ont été, par ailleurs, convenablement enregistrés, ils forment l’une des premières bases de travail et ont été publiés à diverses reprises, pour commencer dans les premiers bulletins de l’association. À cette même époque, des recherches (plutôt des sondages très localisés) ont été réalisées en différents endroits du site. Cette dispersion des investigations a ouvert plus de questions qu’elle n’en a résolues…

Ces premiers temps ont été également un formidable terrain d’expérimentation. Des recherches plus en profondeur, réalisées sur une (infime) partie des douves est, ont été alors pratiquées selon la méthode Wheeler. Le terrain plat, l’absence de construction visible, l’homogénéité apparente des terres de remplissage permettaient de penser que cette méthode donnerait de bons résultats. Mais ce joli damier a montré très rapidement ses limites… Certes, la circulation sur le chantier et le relevé des coupes en ont été facilités, mais l’attribution nominative des carrés à des fouilleurs n’a pas permis un travail équivalent en tous points du chantier, surtout si l’on ajoute les difficultés dues aux remontées des eaux d’infiltration. Cet essai doit donc être considéré comme une simple fenêtre dans les riches remplissages du comblement des douves. Fenêtre qui n’a pas permis non plus d’atteindre les niveaux en relation avec les occupations médiévales du site, tout au plus repérer les couches, liées aux incendies du XVIe siècle, et le batardeau du chemin de ronde bas de la tour des princes.

Les premiers et plus sérieux sondages réalisés au cœur du château (1986, puis 1989), dans les salles basses, ont été autorisés dans le but d’évaluer le potentiel archéologique afin d’attribuer ou non des autorisations tri-annuelles dans le cadre d’une fouille programmée. Si la preuve a été alors apportée de l’intérêt et de l’épaisseur des stratigraphies, ces sondages ont plutôt brouillé les pistes et n’ont rien apporté de nouveau sur l’histoire du château ; tout avait l’air de se compliquer…

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que Mehun est une cité archéologiquement très intéressante, voire exceptionnelle, dotée d’un site castral remarquable à l’évolution étonnante. Mais pour écrire ces trois lignes, il a fallu des milliers d’heures d’études et de recherches…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enchaînement et évolution des campagnes d’études

 

Pendant plus de sept années (de 1989 à 1995), ces grandes salles basses et une partie du chemin de ronde sud ont fait l’objet d’investigations et de relevés soignés, suivant des décapages stratigraphiques fins, cotés et parfaitement repérés. Ce sont les fondations et les élévations en place, les reliefs rocheux et les multiples percements qui ont déterminé les limites de ce travail. Ces diverses structures ont également guidé les méthodes, souvent très proches de celles dispensées sur les chantiers protohistoriques. Cet espace de fouille a servi d’école aux nombreux bénévoles, principalement de jeunes universitaires, pour apprendre, expérimenter, voire comparer les différentes méthodes, de la fouille d’un ensemble clos aux cotations en champ ouvert. Certaines fosses ont fait l’objet d’une attention particulière, tant dans l’approche stratigraphique que dans la cotation des objets, voire des tessons. L’exploitation de toutes ces données n’a pas toujours été à la hauteur de nos espoirs, elle a souvent révélé des résultats inattendus ; il fallait le faire pour le savoir…

 

Afin de mieux comprendre les méthodes de démolition, l’épandage des objets dans les remblais, ainsi que les enchaînements stratigraphiques, toutes les découvertes du chemin de ronde sud (1993-1995) ont été soigneusement cotées. La méthode peut paraître fastidieuse, l’exploitation hasardeuse, mais elle présente l’avantage de garder à jamais la mémoire tridimensionnelle des objets dans un espace donné du château. La stratigraphie de cette zone étant très proche (type et lieu) de celle des espaces décapés la et les premières années, le but de cette technique était également de resituer (par comparaison) certaines des découvertes anciennes…

 

S’est ensuivi une longue phase d’étude du monument, et principalement l’établissement d’un plan des structures avec près de 3 000 points cotés, le relevé des principales élévations, le nettoyage et le classement du mobilier. Tout ceci regroupé sous la forme d’une autre autorisation tri-annuelle (1996-1998). Cette formule a permis d’avancer rapidement dans la compréhension du site, mais nos réflexions se poursuivent encore aujourd’hui, tant sur les objets que sur le monument.

 

Les études de mobilier les plus abouties concernent les couleurs repérées sur les petits objets et les sculptures (1999-2001), ainsi que les compositions physico-chimiques des carreaux de pavement (2000-2006), dans la suite des premières études des années 80, puis la publication Les Premiers “bleus” de France (1992). Ces recherches et ces analyses ont été menées par les laboratoires d’archéométrie du C.N.R.S. basés à Orléans et à la faculté de Bordeaux III, avec l’aide financière du Conseil général du Cher, aujourd’hui Conseil départemental. Le laboratoire d’archéozoologie de Compiègne a finalisé une première estimation (1990) puis a mené à bien, avec la faculté de Tours (2002), un travail très complet sur l’une des fosses mise au jour dans les grandes caves du château. Travail publié en 2011/12 et qui se poursuit actuellement sur une autre fosse, dont les résultats devraient être publiés dans une prochaine édition (2016/17).

 

Depuis les années 2000, le but est également d’œuvrer pour l’intégration des collections au sein du musée Charles VII de Mehun. En effet, même si la dévolution définitive des découvertes est, de fait, celle du musée ; il faut toujours veiller à leurs conservations et leurs mise en valeur en apportant un constant soutien technique, voire financier, au musée.

 


 

Du château à la ville

 

Parallèlement aux recherches organisées sur le site du château, l’équipe a pratiqué (1998) une recherche urbaines en limite des fossés et de la seconde enceinte de ville (premier quart du XIIIe siècle), derrière l’auberge de “L’Écu de France” et une ancienne maison canoniale. Très riches à la fois en mobiliers et en renseignements les plus divers sur la vie aux XIIe-xve siècles, ces recherches ont apporté de surprenants résultats quant à l’organisation, ou plus précisément la réorganisation de la cité au XIIIe siècle. Elles ont également réorienté une partie de nos hypothèses sur les rapports entre la ville et son château. De fait, l’ouverture du château vers sa ville ne s’est faite que tardivement, à l’époque où il était déjà une résidence et où il ne pouvait plus fonctionner d’une façon autarcique. C’est ce que semblent nous indiquer également les fondations du châtelet d’entrée du château. Châtelet connu par quelques représentations peu précises et dernièrement mis au jour, fortuitement (2008), lors de l’arrachage de quelques arbres de l’ancien mail implanté en avant du site ; puis en 2012 lors de la consolidation de la terrasse de promenade. Les recherches urbaine ont fait l’objet ces dernières années de plusieurs notes de synthèses et seront très prochainement publiées au sein du tome II du Château et l’art, durant la guerre de Cent ans.

 


 

Remerciements

 

Enfin, un tel travail, dont la publication du Château et l’art expose les principales données, n’aurait pu se faire sans le soutien des plus hautes institutions et le concours de très nombreux bénévoles. L’intérêt qu’ils ont tous eu pour ce site et plus généralement l’histoire et l’archéologie est évident et parfois incomparable ; le nombre d’heures passées pour la compréhension et la mise en valeur du monument force l’admiration. Du premier coup de pioche à aujourd’hui, qu’ils en soient tous vivement remerciés et en tout premier, nos professeurs, Françoise Piponnier (†), Jean-Marie Pesez (†), Pierre Bailly et Charles-Henri Lagrand (†), à qui nous dédions plus particulièrement nos synthèses publiées et à venir, tant papier qu’électronique. Le temps passé avec l’équipe, leurs conseils et les méthodes dispensées tant en séminaires que sur le terrain ont été d’un précieux concours à la parfaite exécution des recherches.

 

Si vous nous faites l’honneur de commander l’une ou l’autre de nos publications, dont Le Château et l’art et en espérant ne pas en avoir trop oubliés, vous retrouverez au fil des pages, tel un générique alphabétique, la longue liste de celles et ceux qui ont œuvré, quelques heures ou plusieurs années, à la compréhension et à la mise en valeur de ce patrimoine mehunois : un château multiple, une résidence unique au cœur d’un domaine remarquable !

 

Texte complété, exploitant l’introduction archéologique de l’ouvrage :

Le Château et l’art, à la croisée des sources, t.I, 2011.